Résumé de l’affaire
Par un arrêt rendu le 26 mars 2025 (n° 23-13.589), la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme la possibilité de cumuler une action en contrefaçon avec une action en concurrence déloyale.
Ce cumul reste subordonné à la condition que les faits invoqués au soutien de chacune de ces actions soient distincts.
Elle rappelle également que le principe de la réparation intégrale interdit toute double indemnisation pour un même préjudice.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante mais apporte une clarification utile dans un contexte où les atteintes à plusieurs droits de propriété intellectuelle se superposent.
Les faits de l’espèce
La société Meta, anciennement Facebook, exploite les marques « Facebook » et « F » ainsi que le nom de domaine « facebook.com ». Elle constate qu’une société tierce, Cargo Media AG, utilise les noms de domaine « fuckbook.com » et « fuckbook.xxx » pour exploiter un site de rencontres pour adultes dénommé « Fuckbook ».
Meta agit alors en justice en invoquant une atteinte à la renommée de ses marques, des faits de contrefaçon, ainsi que des actes de concurrence déloyale.
L’atteinte à la renommée d’une marque s’entend de l’utilisation d’un signe identique ou similaire à une marque jouissant d’une renommée, de nature à tirer indûment profit de son caractère distinctif ou à lui porter préjudice. Cette atteinte est visée par l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, et par l’article L. 716-4 en tant qu’acte de contrefaçon.
La contrefaçon, quant à elle, désigne la reproduction, l’usage ou l’imitation d’une marque protégée sans autorisation, en violation des droits de son titulaire. Elle est régie par les articles L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, notamment l’article L. 716-4.
Enfin, la concurrence déloyale repose sur l’article 1240 du code civil et sanctionne tout comportement fautif générateur de confusion, d’imitation ou de désorganisation, susceptible de nuire à un concurrent, indépendamment d’un droit privatif.
La décision du tribunal judiciaire de Paris
Par jugement du 6 août 2020, le tribunal judiciaire de Paris reconnaît plusieurs griefs à l’encontre de Cargo Media.
Il retient une atteinte à la renommée des marques FACEBOOK, la contrefaçon de la marque figurative « F », ainsi que des faits de parasitisme.
Toutefois, il rejette les demandes fondées sur la contrefaçon des marques verbales FACEBOOK et sur l’atteinte au nom commercial et au nom de domaine. Le tribunal estime que ces faits ne sont pas distincts de ceux ayant déjà justifié la reconnaissance d’une atteinte à la renommée. Il applique le principe de réparation intégrale pour exclure toute double indemnisation.
Le tribunal judiciaire de Paris a par ailleurs qualifié certains agissements de la société Cargo Media de parasitaires. Le parasitisme, en droit français, désigne l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’insère dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans bourse délier, de ses efforts, de sa notoriété ou de ses investissements.
Il s’agit d’une forme autonome de concurrence déloyale, sanctionnée sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Cette qualification permet de sanctionner, indépendamment de tout droit privatif, l’appropriation injustifiée de la valeur économique d’un signe, d’un concept ou d’un dispositif dont le développement a nécessité un effort intellectuel ou financier particulier.
Il condamne Cargo Media à verser 30 000 euros au titre de la renommée, 5 000 euros pour la contrefaçon du logotype, et 10 000 euros pour le parasitisme.
L’appréciation de la cour d’appel de Paris
La cour d’appel de Paris a été saisie de la décision et a rendu un arrêt le 28 octobre 2022. La cour confirme en partie le jugement mais en modifie les conséquences indemnitaires. Elle admet que les préjudices nés de la contrefaçon et de l’atteinte à la renommée sont de nature différente. La contrefaçon affecte la fonction d’identification de la marque tandis que l’atteinte à la renommée porte sur l’image de marque. Elle octroie donc une réparation complémentaire de 10 000 euros au titre de la contrefaçon.
La cour reconnaît aussi que l’atteinte au nom commercial et au nom de domaine constitue un comportement fautif distinct. Elle y voit des actes de concurrence déloyale autonomes qui doivent faire l’objet d’une évaluation séparée. Elle accorde une indemnisation de 10 000 euros supplémentaires. Elle rappelle que même en présence d’une demande de réparation forfaitaire, le demandeur doit prouver le préjudice subi.
Le pourvoi en cassation
Cargo Media forme un pourvoi. Elle soutient que la cour d’appel a violé le principe de réparation intégrale. Elle estime que les demandes de Meta reposaient sur les mêmes faits et que les indemnités allouées relèvent d’une double réparation. Elle conteste la possibilité d’invoquer la concurrence déloyale lorsque les faits ont déjà été sanctionnés au titre de la contrefaçon.
La solution de la Cour de cassation
Par arrêt du 26 mars 2025, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle confirme que l’action en contrefaçon et l’action en concurrence déloyale peuvent coexister dès lors qu’elles reposent sur des faits distincts. Elle précise que même un acte matériel unique peut porter atteinte à plusieurs droits différents. Le nom commercial, le nom de domaine et la marque poursuivent des fonctions juridiques différentes. L’atteinte à ces différents signes peut donc donner lieu à des qualifications juridiques distinctes.
La Cour rappelle cependant que le principe de réparation intégrale s’oppose à toute double indemnisation pour un préjudice identique. La victime peut cumuler les actions mais elle doit démontrer que les dommages sont distincts. Le juge doit vérifier que les indemnités ne recouvrent pas un même préjudice.
Analyse de la portée de la décision
Cet arrêt confirme une jurisprudence ancienne mais toujours pertinente. Il montre que le juge doit distinguer clairement la qualification juridique des faits de l’acte matériel en cause. Une même conduite peut violer plusieurs régimes juridiques si elle porte atteinte à des droits de nature différente. Le demandeur doit donc identifier précisément les fondements de son action et établir la spécificité des atteintes invoquées.
La Cour adopte une méthode rigoureuse. Elle met en valeur la spécialisation fonctionnelle des signes distinctifs. Elle protège séparément la marque, le nom commercial et le nom de domaine en tant qu’attributs juridiques autonomes. Elle attribue à chacun un régime délictuel propre. Cette construction renforce la cohérence entre le droit de la propriété intellectuelle et celui de la concurrence.
La Cour insiste aussi sur le rôle probatoire du demandeur. L’indemnisation forfaitaire ne dispense pas de produire des éléments d’évaluation du préjudice. L’article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle exige une appréciation fondée sur des données concrètes. Le juge ne peut accorder une réparation que si le dommage est dûment démontré.
La solution reste conforme à la réforme du droit des marques. Depuis l’ordonnance n° 2019-1169, l’atteinte à la renommée relève du champ de la contrefaçon. Néanmoins, l’arrêt conserve toute sa portée, car les faits étaient antérieurs à cette réforme. Il éclaire les tensions d’articulation entre les régimes spéciaux et les principes généraux de la responsabilité civile.
Conclusion
L’arrêt du 26 mars 2025 apporte une clarification utile sur les conditions du cumul entre contrefaçon et concurrence déloyale. Il rappelle que le demandeur doit impérativement identifier des faits distincts et démontrer l’existence de préjudices différenciés.
Le principe de réparation intégrale reste la borne infranchissable de tout raisonnement indemnitaire.
Le juge veille à éviter la multiplication artificielle des demandes.
En consacrant cette exigence de rigueur, la Cour renforce la sûreté juridique et encourage une présentation cohérente des griefs fondés sur les atteintes aux signes distinctifs.
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