Décision décryptée : Cour de Cassation, 3ème chambre civile, du 22 mai 2025, n° 23-19.544
Faits
Plusieurs immeubles exploités sous le régime de la résidence de tourisme ont été construits puis vendus en l’état futur d’achèvement, et soumis au statut de la copropriété. Les copropriétaires ont consenti des baux commerciaux à un exploitant unique (la société PV Résidences et Resorts), comportant notamment une clause de subrogation au profit de ce dernier dans les actions à exercer contre les constructeurs et assureurs.
Des désordres affectant les escaliers extérieurs ont conduit les syndicats des copropriétaires à solliciter une expertise judiciaire en référé à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs.
Procédure
La cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt du 6 juin 2023, a déclaré irrecevable la demande d’expertise formée par les syndicats de copropriétaires, au motif qu’ils ne justifiaient pas de leur qualité à agir, les copropriétaires ayant subrogé l’exploitant dans leurs droits d’action.
Le syndicat des copropriétaires perd-il sa qualité pour agir contre les constructeurs du fait d’une clause de subrogation contenue dans un bail commercial consenti par les copropriétaires à un exploitant de résidence de tourisme ?
Définition :
Clause de subrogation : clause contractuelle par laquelle une personne (le créancier initial, ou ici le copropriétaire bailleur) convient de transférer à un tiers (le subrogé) les droits, actions et recours qu’elle détient contre un débiteur ou un tiers responsable (par exemple un constructeur ou un assureur), généralement à l’occasion d’un paiement ou d’une convention spécifique (ici, un bail commercial).
Solution de la Cour de cassation
La Cour se prononce ainsi :
« Ni l’exigence d’un exploitant unique prévue par l’article D. 321-2 du code du tourisme, ni l’insertion dans un bail commercial consenti par un copropriétaire d’une clause subrogeant l’exploitant dans ses droits et actions contre les constructeurs et leurs assureurs, n’ont pour effet de priver un syndicat des copropriétaires de sa qualité à agir à leur encontre en vue d’obtenir la réparation des dommages affectant les parties communes. »
La Cour rappelle également que, conformément à l’article 15, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir en justice pour la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble, ce qui inclut les actions relatives aux désordres affectant les parties communes.
Enfin, elle précise que la subrogation ne saurait transmettre des droits que le subrogeant ne possède pas, et ne peut faire perdre au syndicat sa qualité propre à agir, qui découle de la loi et non d’une cession ou d’un mandat des copropriétaires.
Effets juridiques
# La subrogation transmet la créance au subrogé, dans la limite des droits détenus par le subrogeant (article 1346-4 du code civil).
# Elle ne peut transmettre des droits que le subrogeant ne possède pas.
# Elle n’efface pas les droits propres d’un tiers légitimé par la loi à agir (comme le syndicat des copropriétaires au titre de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965).
# Elle ne crée pas une exclusivité d’action au profit du subrogé sauf stipulation expresse et licite, ce qui est rarement le cas en droit des biens ou de la copropriété.
Portée de la décision :
Cet arrêt est important à plusieurs titres :
# Il réaffirme la pleine autonomie procédurale du syndicat des copropriétaires, même en cas de résidence de tourisme exploitée de manière unifiée ;
# Il écarte l’argument de l’exclusivité d’action de l’exploitant au titre d’une clause de subrogation figurant dans les baux commerciaux ;
# Il s’oppose à une lecture extensive de la subrogation, en rappelant qu’elle ne saurait emporter une transmission de la qualité à agir propre au syndicat, laquelle est d’ordre public et légale ;
Il consolide la jurisprudence antérieure selon laquelle le syndicat peut agir pour tout dommage affectant les parties communes, y compris lorsque ceux-ci ont également un impact sur des parties privatives.